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« Extrêmement fort et incroyablement près », sur France Culture : le regard poignant et drôle d’un orphelin après le 11-Septembre

FRANCE CULTURE – À LA DEMANDE – PODCAST
C’est l’histoire d’un enfant qui part enterrer son père, sauf que le cercueil est vide, et pour cause : il se trouvait dans le World Trade Center le 11 septembre 2001 et fut l’une des près de 3 000 personnes victimes des attaques djihadistes les plus meurtrières des Etats-Unis.
C’est l’histoire d’un enfant facétieux et merveilleux, « collectionneur de pierres semi-précieuses, de papillons morts de mort naturelle, de cactées miniatures et de souvenirs des Beatles », mais un enfant pétri d’angoisses et de culpabilité de ne pas avoir osé décrocher le téléphone quand son père a appelé depuis les tours jumelles en feu.
Une histoire terriblement bouleversante, écrite par l’un des auteurs américains les plus brillants de sa génération, Jonathan Safran Foer, et publiée en 2005 avant d’être traduite en français l’année suivante sous le titre Extrêmement fort et incroyablement près (L’Olivier) puis adaptée au cinéma en 2012. Et c’est cette adaptation (pourtant largement ratée, selon nombre de critiques) qui a longtemps (pour des raisons de droits) empêché Cédric Aussir de s’en saisir. Mais peu importe aujourd’hui.
D’abord parce que, fin lecteur (il a signé plusieurs adaptations remarquables de Balzac), Cédric Aussir a saisi le sens et l’essence de l’œuvre de Foer. Ensuite parce qu’il a trouvé le ton juste pour nous la restituer, grâce notamment à une utilisation particulièrement pertinente de la musique (merci Leonard Cohen, Asaf Avidan et Yom) et à un casting exceptionnel.
Pour « gagner du temps » (rappelons que le roman compte tout de même quelque 450 pages dans sa version française), Cédric Aussir a eu l’ingénieuse idée de glisser des résumés dans le générique de chacun des épisodes. Mais ce qui fait la force de son adaptation est d’avoir choisi de tout faire passer par la voix d’un enfant de 9 ans, incarné par Edgar Cemin, dont il faut, dit-il (et à raison), saluer « la performance et la diction incroyables » au point, avouons-le, qu’il semblerait impossible qu’aucune autre voix française ne puisse désormais incarner le jeune Oskar Schell : « L’auditeur est avec lui tout le temps : c’est son point de vue, son regard, et c’est ça qui est poignant et drôle. »
D’ailleurs, à écouter Cédric Aussir, si généreux et si pudique, on sent l’émotion qui le saisit encore, alors même que nous sommes à des années-lumière de sa lecture et à plusieurs mois du tournage qui a eu lieu lors des vacances de la Toussaint 2023. On sent les larmes qui risqueraient de déborder, tant cette histoire le touche, intimement. Tant il y tient, et nous aussi.
Episode 1. C’est donc l’histoire d’un enfant qui va enterrer son père adoré, alors même que le cercueil est vide. Un enfant qui se souvient de leurs conversations, de leur complicité. Un enfant qui voit sa mère si belle en cette journée si triste. Un enfant aux semelles de plomb qui, un an après « le pire jour » (sous la plume de Foer, les attentats du 11-Septembre ne seront désignés que par euphémisme), développe tout un tas de phobies et se met en quête d’une serrure qui correspondrait à une clé trouvée, dont il tente de se persuader qu’elle résoudra le mystère de la disparition de son père.
Pour protéger sa mère et sa grand-mère (incarnées par Sarah Le Picard et Geneviève Mnich), Oskar se met à mentir, invente même un « googleplex de mensonges » (il faut dire combien la langue de Foer, merveilleuse de trouvailles, se fait ici si bien entendre), et embarque un voisin dans sa quête impossible (épisode 3). Terriblement lucide malgré son âge (« la vie est une difficulté insurmontable »), hypersensible, Oskar Schell est traversé par des émotions contradictoires (tristesse, bonheur, colère, amour, culpabilité, joie, honte), et nous avec.
Se dire alors que, un jour, il faudra se résoudre à lui poser vraiment la question, à creuser davantage : qu’y a-t-il dans l’enfance qui fascine et émeut autant Cédric Aussir et qu’il arrive si bien à rendre ? − que l’on songe à son adaptation de Pinocchio (2022), par exemple. En attendant, (ré) écouter son travail, extraordinairement fort et incroyablement près. Redire alors et à quel point sa réalisation est remarquable. Que, de même que Jonathan Safran Foer avait réussi à écrire l’irracontable, Cédric Aussir est parvenu à faire entendre l’inaudible. Mieux, à en offrir une expérience sensible d’une bouleversante beauté.
Extrêmement fort et incroyablement près Adapté par Cécile Laffon et réalisé par Cédric Aussir d’après le roman de Jonathan Safran Foer (Fr., 2024, 5 × 28 min).
Emilie Grangeray
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